Chapitre 1: Au plus noir de la nuit.
La lueur des torches resplendissait dans la nuit comme une nuée d'étincelles. La Jungle de Strangleronce, résonnant habituellement des cris de bêtes sauvages, était ce soir le théâtre d'un étrange rassemblement. Au milieu des lianes et des hautes herbes sauvages, caractéristiques du lieu, un groupe de personnes encapuchonnées avançaient lentement, en silence, en direction d'une petite structure en pierre se confondant avec les ténèbres de la jungle. Leurs bruits de pas, mêlés au son des flammes consumant le tissu des bâtons, donnaient à cette procession une bizarre force mystique, puissante... sacrée.
Le petit groupe s'approchait finalement de ce qui semblait être les ruine d'un temple. Le bâtiment, de la taille d'une petite chapelle, était fait d'une pierre jaunâtre, vieillie par les âges et couverte de symboles indigènes et morbides, représentant de nombreux crânes et créatures mythologiques étranges. L'entrée, une ouverture en dessous d'une petite arche elle aussi richement décorée ressemblait à une gueule débouchant tout droit sur les abysses, une porte de ténèbres où aucune lumière ne semblait vouloir s'aventurer et qui ouvrait le passage vers les entrailles obscures du lieu.
Un par un, les uns derrière les autres, ils s'avancèrent, rentrant dans le vieux temple. La lueur de leurs torches, agissant il y a quelques instants comme un phare dans le noir de la jungle, s'estompa aux yeux des habitants sauvages de Strangleronce lorsque le dernier des marcheurs s'engouffra dans le bâtiment. Puis, ce fut à nouveau la nuit noire.
L'intérieur était étroit. Les fresques des murs, illustrant des batailles glorieuses et des rites païens d'une antique race, étaient éclairées par le feu des inconnus, et semblaient renvoyer un sourire macabre aux visiteurs. Les guerriers sculptés à même la roche regardaient passer le cortège, leurs yeux de pierre paraissant luire dans la semi-pénombre, d'un air maléfique porteur de mort et de malédiction antique.
Mais ce n'était là que des ombres et des pierres polies. Le cortège ne s'y intéressa guère, et continua son avancée dans le couloir. Le passage déboucha finalement sur une pièce à ciel ouvert, un morceau de terrain recouvert d'herbe sauvage et encadré par quatre murs de pierres massifs, et où au fond se dressait un sinistre autel au crâne rieur gravé dessus. Derrière se tenait une immense figure voûtée, observant les arrivants d'un air neutre.Les silhouettes se regroupèrent au pied de la table sacrificielle, et se figèrent, leurs traits masqués sous leurs capuches. Leurs regards étaient désormais tournés vers celui qui les attendait. Le Troll, car c'en était un, se redressa lentement. De ses yeux enfoncés, il observa l'assemblé. Il se gratta l'arrière de son crâne dégarni, où seul quelques cheveux restaient, témoins d'une crinière passée. Il parla alors d'une voix rauque et grave, suffisamment forte pour que tous puissent entendre.
-Mes twès che's fwè'es et soeu's, nous sommes wéunis en ce jou' pou' mener à bien la volonté du Maîtwe. Beaucoup d'entwe vous sont venus, et je les en weme'cie. Je sais que les choses n'ont pas été facile pou' nous ces de'nièwes années, mais enfin, notwe attente touche à sa fin.
Il écarta les bras, et sourit du mieux que ces deux immenses défenses lui permettaient.
-En ce jou', notwe glowieux Maîtwe et Seigneu' m'a donné une vision! La vision de son gwand wetou' pa'mis nous! L'heuwe est pwoche, mes amis, et bientôt, bientôt, le Jugement viendwa et fwappewa Azewoth tout entièwe! Justice sewa wendu pou' notwe peuple, et gwande sewa la wécompense pou' notwe fidélité! Il nous faut simplement ga'der la foi en notwe Maîtwe, et wester dans l'ombwe, jusqu'à ce que le moment pwopice...
Il s'interrompit soudainement, et plissa les yeux. Son regard se focalisa sur l'entrée obscure derrière les disciples massés à ses pieds.
Quelque chose n'allait pas.
Avant qu'il ait pu dire quoi que ce soit, une hache fendit l'air, surgissant des ombres, se fichant dans le dos d'un des adeptes qui poussa un cri de surprise étouffé, avant de s'effondrer sur le sol. Tous s'écartèrent, surpris de la brutalité et de la soudaineté de l'attaque. Sans laisser le temps à la foule de réagir, d'autres haches de jets jaillirent des ténèbres pour s'enfoncer dans la chair de deux autres cultistes. Leur sang jaillit, et éclaboussa l'herbe à leurs pieds, qui fut peinte d'un rouge sanglante. La panique s'empara de la petite foule, qui se mit à se bousculer dans tous les sens à la recherche d'une autre issue.
-Qui ose?! hurla le grand prêtre, la colère déformant ses traits bleus.
Seul le silence de l'abysse lui répondit dans un premier temps. Puis, lentement, une silhouette se dessina dans les ténèbres. Un pas. Puis un autre. La démarche détendue, mais néanmoins assurée, l'inconnu s'approchait de plus en plus. Alors, tous les adeptes présents dans la pièce sentir ce frisson familier secouer leurs nuques. Tous eurent le sentiment d'être pris au piège, de s'être jeté stupidement la tête la première dans un traquenard. Et maintenant, ils étaient des agneaux attendant à l'abattoir, sans possibilité de fuite.
Le nouvel arrivant, un autre Troll au teint vert pâle, sortit tranquillement des ombres. Massif, comme ceux de son espèce, il était vêtu d'une tunique recouverte par un épais haubert rouge et un simple pagne de fourrure, au dessus duquel plusieurs couteaux en os pendaient aux cotés de petites bourses, le tout accroché à une ceinture de cuir marron. Dans son dos, dépassaient un énorme manche de métal couvert de bandages grossièrement serrés.
Enfin à la vue de tous, il s'avança en pleine lumière. Il regarda d'abord le corps de sa première victime qui se trouvait à ses pieds. Puis, il observa les deux autres, avant de finalement poser son regard sur la foule et son guide. Il sourit, et se contenta de faire craquer sa nuque.
-TUEZ LE! TUEZ LE! IL EST SEUL!
La voix du grand prêtre sortit les adeptes de la stupeur. Stupéfaits dans un premier temps, apeurés, ils reprirent bien vite leurs esprits en entendant leur chef crier ces ordres. Ils firent dans un premier temps un pas en direction de l'intrus, puis un autre, avant de finalement marcher vers lui, lentement, l'encerclant, tel un groupe de fauves autour d'un gibier solitaire.
Le concerné grimaça. Ses yeux passèrent à toute vitesse ses ennemis en revu. Il était une vingtaine à vouloir sa peau, sans compter le gourou derrière son autel. Il devait vite se débarrasser des guignols s'il ne voulait pas que sa proie ne lui échappe. Il porta sa main à l'arrière de son dos, et dégaina une immense lame, ressemblant plus à une plaque de métal qu'à une épée, dont l’extrémité chuta lourdement sur le sol, s'enfonçant dans la terre.
Un cri se fit entendre, et l'un des adeptes fonça sur l'intrus à toute vitesse, une dague à la main. C'était le signal de l'attaque. Tous se ruèrent sur lui à la suite de leur compagnon, à l'unisson, cherchant à le noyer sous le nombre. Le Troll, contractant ses muscles, souleva son arme aussi rapidement qu'il le pouvait, et en poussant un grognement sous l'effort fit tourner la lourde lame autour de lui. La rotation de l'épée, couplée avec l'élan des assaillants, brisa les crânes des premiers du groupe, déchirant leurs gorges, fracassant leurs crânes arrachant leurs mâchoires. Une pluie de sang, d'os brisés et de cervelle jaillit des corps sans vie tombant sur le sol, éclaboussant tout le monde. Mais cela n'arrêta pas le reste du groupe.
Se jetant sur lui, un des disciples le serra à la taille, tandis qu'une autre essaya de la poignarder avec une dague, manquant de peu son torse. Deux autres lui attrapèrent les bras, bien décidés à le maintenir immobiles, tandis que leurs compères se chargeraient de le saigner.
Le Troll grogna. Il donna un violent coup de tête à son agresseur de droite, qui lui lâcha la main, se tenant le visage. De son bras libéré, il enfonça ses doigts dans les yeux de son assaillant de gauche. Un bruit spongieux se fit entendre, et l'ennemi recula en hurlant, libérant son deuxième membre. Enfin, il frappa du mieux qu'il pouvait les côtes du troisième, qui grogna, mais maintint sa prise, l'immobilisant sur place.
En face, l'assaillante s’apprêtait à revenir à la charge, le minuscule dard de métal brillant dans sa main. Elle entama son geste, visant le coté du torse de l'intrus incapable de se dégager, quand un rugissement violent l'interrompit. Elle leva les yeux, et ses compagnons l'imitèrent.
Dans les ombres de la porte, un bruit de course effrénée se fit entendre. Le son d'une lourde masse se dandinant à toute allure, d'une véritable montagne de chairs et de muscles accourant à toute vitesse pour porter secours à celui qui avait dérangé la cérémonie. La bête passa à toute allure à coté de son maître, pour se jeter dans le groupe de cultistes qui n'en revenait pas. Ses mâchoires se refermèrent sur les malheureux passant à sa portée, qu'elle soulevait du sol sans la moindre difficulté avant de les projeter avec force contre les murs. Ses trois têtes rougeâtres sifflèrent alors en direction des adeptes, montrant une rangée de dents acérées et sanglantes, couvertes du sang des victimes qu'elles venaient de faire.
Une hydre.
C'en était trop pour certains. Terrifiés ou désespérés par l'arrivé du monstre, quelques uns se dirent qu'ils pouvaient tenter leur chance. Essayant de contourner la bête et son maître maintenu sur place par l'effort de leur camarade, ils se jetèrent vers l'ouverture, courant aussi vite que leurs jambes le leur permettaient. C'était sous estimer la vitesse du monstre.
Ses cous volèrent à toutes vitesses, ses gueules arrachant les membres des fuyards. En quelques secondes, ce fut le chaos totale, l'Hydre chargeant dans le reste de la masse. Pendant que son familier se chargeait de massacrer ses adversaires, le Troll se mit à frapper frénétiquement le dos son assaillant, enfonçant ses poings dans sa chair, sa lame tombant bruyamment sur le sol, l’encombrant car trop lourde. Roué de coups, le cultiste lâcha prise et fit un pas en arrière. Ce fut le moment que le chasseur attendait.
D'un geste sec, avec la force que seul son espèce connaissait, il enfonça ses trois doigts tendus dans la gorge de son ennemi, à découvert. Sa main pénétra dans la chair comme dans du beurre, broyant les os et les muscles.
Il retira cette dernière, sanglante, et observa la bataille autour de lui. L'attention des derniers survivants était focalisée sur l'Hydre, qui claquait ses mâchoires, menaçante, les gardant à distance.
Mais derrière les combattants, une lueur verdâtre se mit à luire, et un étrange chant monta lentement depuis l'autel.
Le grand prête allait lancer un sort. Le Troll retint un juron. Du vaudou, il avait bien besoin de ça! Si jamais ce prêtre de pacotille arrivait à finir son sort, il ne savait pas ce qui se passerait, mais une chose était sûr: ce serait très mauvais pour lui.
-TWIGO'E! hurla le Troll d'une voix forte.
L'Hydre comprit l'ordre, et se courba pour son maître. Se lançant aussi vite que ses jambes lui permettait, le Troll saisit une de ses dagues à sa ceinture, et grimpa sur le dos de la bête en bandant ses muscles, qui se redressa brutalement. Il sauta aussi loin qu'il le pouvait, au dessus des disciples restant qui levèrent la tête, impuissants face à ce saut.
En un bond, il traversa la pièce, sous l’œil écarquillé du prêtre qui continuait sans s'arrêter de canaliser ses sombres énergies. Avant que ce dernier ait eu le temps de réagir, la lame du Troll s'enfonça dans ses côtes, lui coupant le souffle et son incantation.
Poignardé, le chef des cultistes tomba au sol, haletant, cherchant de l'air. Autour de lui, tout bourdonnait. Les cris de ses derniers apôtres lui paraissaient lointain, et faiblissaient à vu d’œil, le monde entier semblait tourner sur lui même et des scènes entières de son existence défilant devant ses yeux. Il serra les dents, et maudit le destin. Qui était donc ce misérable insecte qui avait osé faire irruption?!
Se calmer. Il devait se calmer et reprendre le contrôle. Son cœur battait à tout rompre, mais la douleur était supportable. Il se concentra sur sa respiration, et ferma les yeux. Il inspira longuement, se focalisant sur son souffle. Se calmer. Il devait se calmer.
Subitement, il sentit une pression sur sa nuque. Au dessus de lui, le chasseur Troll essuyait son poignard sur sa tunique, lui lançant un regard indifférent.
Derrière, au milieu des corps éparpillés des adorateurs qui finissaient de convulser, parmi les membres et les cadavres en miettes mêlant tissu et chair écrasée, l'Hydre finissait de gober la tête d'une jeune disciple encapuchonnée.
-Toi et moi, on a des twus à se di'e, mec... lança l'intrus d'une voix calme au prêtre.