Piège à souris (de luxe).
Mathias Saw contemplait la vieille ville depuis l'une des fenêtres du bâtiment principal du SI:7. Le quartier était calme, comme à son habitude, le soleil était en train de descendre dans le ciel et ne serait bientôt plus visible. Ses dernières lueurs annonçaient pour beaucoup la fin d'une journée mais pour le leader du SI:7 elles représentaient bien plus. Il se retourna et, tout en prenant une profonde inspiration, se dirigea vers son bureau. En s'asseyant il observa le rapport d'une cinquantaine de pages qui trônait sur son bureau.
"Oui... Cette nuit va apporter son lot de bouleversement." déclara t'il pour lui même en se plongeant pour la énième fois dans ce rapport dont la première page était marqué par un nom de code qu'il connaissait bien : L'Alpha.
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Deux jours plus tôt.
Myrialla entra dans le manoir en passant devant les deux gardes qui stationnaient à la porte. Dès qu'elle eut franchie le seuil un serviteur vint à sa rencontre pour récupérer son manteau. Elle lui laissa lui ôter sans lui accorder un regard ni un remerciement. Pourquoi le ferait elle après tout ? Ses valets étaient payés assez chers pour qu'elle ne leur offre un sourire totalement gratuit.
Après avoir vérifié qu'aucun affreux plis n'étaient présents sur sa robe elle se dirigea vers le salon où son mari se trouvait, devant la cheminée principale, un verre de Whisky Halaani à la main qu'il faisait directement venir de Nagrand. Myrialla sourit, c'était la boisson qui correspondait exactement à Richard Calderon, pas forcément excellente, bien qu'il avait apparemment appris a en aimer le goût, mais affreusement difficile à posséder.
Les Calderon étaient connus pour cela dans la maison des Nobles, ils aimaient par dessus tout ce que les autres ne possédaient pas et étaient prêt à dépenser des fortunes pour cela.
"Bonsoir mon cher et tendre. Avez-vous reçu une missive de la part des Alderoy ? J'ai vu Katia aujourd'hui et elle m'a parlé d'une réception qui se tiendrait très prochainement chez eux..."
Richard Calderon releva la tête d'une lettre qu'il lisait avec attention. Myrialla ne l'avait pas remarqué en entrant mais son mari semblait soucieux, ce qui n'arrivait pas souvent. Son visage était alerte, presque tendu. Il sembla remarquer le regard interrogatif que lui lançait sa femme puisqu'il reprit aussitôt une attitude digne d'une personne de son rang tout en posant la lettre sur le guéridon en marbre à ses côtés.
"Les Alderoy ? Voilà une étonnante nouvelle, eux qui sont d'habitudes si droit et si réservés. Je ne les imagines pas organiser une réception hormis pour un événement particulier. Mais, maintenant que vous me le dîtes, il me semble en effet que l'on nous ait apporté une lettre scellée de leur emblème."
Richard prit une petite cloche parfaitement ouvragée posée sur le guéridon, à côté de la lettre, et l'agita. Celle-ci produisit un son cristallin qui n'était ni assez fort pour déranger les occupants du manoir mais suffisamment audible pour que quiconque présent dans la battisse puisse l'entendre.
Un serviteur entra presque instantanément et exécuta une révérence devant ses maîtres.
"Monsieur m'a appelé ?" demanda le serviteur d'une voix totalement neutre.
"Apportez moi donc la lettre reçue ce matin des Alderoy." fit Richard Calderon tout en prenant une gorgée de whisky.
Le serviteur sorti à reculons du salon non sans avoir refait une révérence puis revint, quelques instants plus tard, avec une lettre posée sur un plateau d'argent.
Richard prit l'enveloppe que lui présentait le serviteur puis l'observa. Le sceau était bleu et frappé d'un lion tenant dans sa gueule un marteau. L'emblème de la maison Alderoy, les "toutous du Roi" comme aimaient les appeler un certains nombres de Nobles. Dans leurs dos bien sûr, il ne s'agissait pas de s'attirer les foudres d'une des maisons les plus loyalistes et donc l'une des plus appréciée de Sa Majesté.
Richard fit sauter le sceau, récupéra la lettre en commença à la lire.
"Et bien apparemment il m'arrive de me tromper. Les Alderoy nous invite à une réception mondaine sans aucunes raisons particulières. Ce bon vieux Adalbert s'est peut être déridé un peu."
"Quant est ce que cela aura lieu ?"
"Si j'en crois ce qui est écrit, dans deux jours." Richard referma la lettre, la replaça dans son enveloppe et regarda si son serviteur était assez proche pour la lui donner directement. Ce dernier étant un peu trop éloigné Richard la posa sur le guéridon tout en lui faisant signe d'approcher. "Mettez cette lettre sur mon bureau."
Le serviteur s’exécuta et sortit du salon en refermant la porte en silence. Puis il arbora un sourire.
"Ces bourgeois sont vraiment trop facile à berner." pensa le serviteur.
En effet si le couple Calderon avait prêté attention au serviteur en question ils auraient peut être remarqué que c'est la première fois qu'ils le voyaient, que les muscles que laissait apercevoir sa tenue de valet un peu trop serré n'étaient pas habituels aux domestiques et qu'il se déplaçait sans faire absolument aucun bruit.
C'est donc avec un léger sourire aux lèvres que l'Alpha se dirigea vers le bureau de Richard Calderon, à l'étage, et qui faisait également office de chambre secondaire pour Monsieur lorsque lui prenait l'envie de dormir seul. Une fois dedans il ferma la porte avec la clé restée dans la serrure, s'installa au bureau et entreprit de lire la lettre. Non pas celle des Alderoy, celle-ci était restée dans le salon en vérité, mais la première. L'Alpha recopia prestement la lettre, rangea sa copie dans une poche intérieure et plaça l'originale sur le bureau. Ainsi il pourrait prétexter de s'être simplement trompé de lettre. Justement, des bruits de pas se faisaient entendre dans l'escalier...
L'Alpha, ayant appris au fil des missions à garder son calme, déverrouilla la porte du bureau mais, préférant éviter une confrontation directe qui pourrait mettre à mal sa couverture, se dissimula sous le lit. Juste à temps car la porte s'ouvrit violemment.
"Idiot de valet ! Se tromper de lettre..."
Richard Calderon avança vers son bureau et saisit la lettre posée dessus. Il poussa un soupir de soulagement en la voyant en bon état.
"Richard ? Pourquoi êtes-vous aussi tendu ? Que dit cette lettre ?"
Richard se retourna, Myrialla se tenait au niveau de la porte, les bras croisés et visiblement inquiète.
"Rien du tout, une affaire... Personnelle."
"Vous n'êtes pas comme d'habitude Richard, faîtes moi voir cette lettre !"
Sans que son mari puisse l'en empêcher Myrialla arracha la lettre des mains de Richard et la parcourut rapidement. Ses yeux s'emplirent d'effroi et lorsqu'elle regarda de nouveau son époux celui-ci avait une dague à la main et une expression désolée sur le visage.
"Que... Richard, je ne comprends p.."
"Désolé Myrialla, personne ne doit savoir." l'interrompit-il.
Et il lui planta sa dague en plein cœur.
Le corps sans vie tomba sur le plancher, l'Alpha ne bougea pas d'un millimètre. Cette bourgeoise était le cadet de ses soucis, seul lui importait la sûreté du royaume. Et ce n'était nullement le moment d'arrêter Richard Calderon. L'Alpha avait d'autres plans pour lui.
Richard quitta son bureau non sans avoir fermé à clé derrière lui. L'Alpha sortit de sa cachette, ouvrit la porte du bureau avec le double fabriqué avant le début de l'infiltration, referma derrière lui et s'exfiltra aussi facilement qu'il était entré.
"Ne jamais rien laisser au hasard." songea t'il en vérifiant que la copie de la lettre se trouvait toujours dans sa poche.
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La diligence Calderon s'immobilisa devant la propriété des Alderoy. Immédiatement un valet vint se porter à sa hauteur, ouvrit la porte et aida Richard Calderon à descendre.
Richard, accompagné par une quinzaine de serviteurs formant sa suite, entra dans le gigantesque hall du manoir Alderoy. Il n'y était que très rarement entré, les Alderoy n'ouvrant leurs portes que pour parler politique et autres sujets ennuyants. Aussi, un peu déboussolé, il se laissa guider dans la salle des fêtes. Un gigantesque banquet y était installé et au bout de celui-ci se trouvait Adalbert Alderoy, la mine toujours aussi austère. Richard se prit à sourire en se faisant la réflexion que ce vieux débris vivait ses derniers instants puis il remarqua que le vieux débris en question le regardait. Fixement. Sans cligner des yeux. C'était typiquement le genre de chose qui mettait Richard Calderon mal à l'aise. D'autant plus que, protocole oblige, il devait aller saluer l'hôte. C'est presque à reculons qu'il se dirigea vers lui afin de lui passer le bonsoir.
"Monsieur Alderoy." Richard inclina la tête. "C'est pour moi un honneur que de répondre à votre sympathique invita..."
"Je ne vois pas votre compagne, Richard." le coupa Adalbert Alderoy, toujours en le fixant.
"Elle est malade, j'ai préféré qu'elle reste se reposer à la maison. Cela ne vous ennuie pas j'espère ?"
"Non du tout. Prenez donc place, la plupart des convives sont d'ors et déjà arrivés."
Richard s'assit à la table et observa les autres personnes présentes. La plupart des membres de la maison des Nobles avaient répondus présents. Cependant, et chose assez étrange pour qu'il l'eût remarqué, aucuns des autres nobles n'étaient venus le saluer. En fait ils ne bougeaient pas et ne lui accordaient même pas un regard. Ils se contentaient de discuter entre eux. Pourtant en ces lieux, à ce moment précis, se trouvait la crème de la crème de la noblesse d'Hurlevent. Et c'était précisément ce genre d'occasion qu'il attendait. Il regarda du côté de l'entrée, un de ses serviteurs lui fit un signe de la tête. Il était temps.
Richard Calderon monta sur la table, tira l'épée d'apparat de sa ceinture, qui se révéla être une vraie belle et bien tranchante et haussa la voix.
"Mes amis, navré d'interrompre votre petite fête mais je crains qu'il ne soit temps pour vous de quitter ce monde. Mon maître estime que votre argent est inutilement gaspillé à alimenter l'effort de guerre contre sa volonté."
Sur ces mots les serviteurs de Richard laissèrent tomber leurs capes qui les recouvraient jusqu'à maintenant, dévoilant des habits mauves et des armes. Les sectateurs pouvaient enfin faire ce pourquoi ils étaient présents.
"Cependant mon maître, Cho'gall est bon et il vous donne une opportunité de le rejoindre. Dans le cas contraire mes collaborateurs ici présents seraient obligés de s'occuper de vous."
Un silence s'abattit sur la salle qui semblait durer une éternité. Si Richard s'attendait à des cris de panique et des tentatives de fuite il fût pour le moins déçu. Car le seul son qui s'éleva à ce moment là fût les applaudissements d'Adalbert Alderoy.
"Et bien... Je ne voulais pas y croire mais il semblerait que le SI:7 avait raison à votre sujet Richard. Vous êtes une honte mais également un imbécile."
En prononçant ces mots Adalbert fit un geste ample vers les convives qui, sous les yeux ébahis de Richard, disparaissaient chacun leurs tours. Des illusions. Il s'était fait duper par de stupides illusions de mages !
"Messieurs, accomplissez votre devoir." fit Adalbert d'un ton parfaitement neutre.
Des dizaines d'arbalétriers surgirent des alvéoles normalement destinées aux musiciens et firent feu sur les sectateurs du crépuscule impuissants contre les carreaux qui les transperçaient. Seul restait dans la salle des fêtes Richard, Adalbert et un homme à ses côtés. En regardant plus attentivement cet homme Richard reconnu le domestique à qui il avait ordonné de monter la lettre dans le bureau. C'est seulement à ce moment là qu'il comprit à quel point il s'était fait avoir. Hurlant de rage il raffermit la prise sur son épée et chargea les deux hommes.
L'Alpha posa une main sur l'épaule d'Adalbert.
"Je m'en charge."
Richard arriva bientôt à la hauteur de l'Alpha et frappa sans chercher à viser un endroit particulier, la rage d'avoir été trompé l'aveuglait. L'agent du SI:7 n'eut aucun mal à esquiver le coup, saisir son avant bras et utiliser son propre poids contre lui en le faisant basculer par dessus-lui. La chute fit perdre à Richard son épée et l'Alpha, tenant toujours l'avant bras de noble lui fit faire une torsion sec. Les os craquèrent et Richard, hurlant de douleur, perdit connaissance.
Le seigneur Alderoy s'approcha de l'Alpha, le visage impassible comme à son habitude.
"Félicitations. Le SI:7 n'a pas volé sa réputation. Simple et efficace."
"Je fais ce qu'il faut faire, rien de plus, rien de moins. Maintenant si vous voulez bien m'excuser, j'ai un interrogatoire à mener." répondit l'Alpha en regardant Richard.