« L'homme a peur parce-qu'il imagine. Il imagine les éventuelles tournures que peuvent prendre ses actes – et la plupart du temps, elles sont mauvaises –. Jusqu'où peut aller l'imagination ? L'imagination n'a aucune limite. L'homme a peur de l'inconnu, – nous dirons même qu'il crée cet inconnu de toute pièce en inventant toutes sortes d'hypothèses – une peur qui n'est pourtant pas scientifiquement qualifiée comme « phobie ». Pourquoi ? La peur de l'inconnu est généralisée chez tous les êtres vivants, il est donc normal que vous en soyez atteints. On peut même observer des cas de phobophobies1. Voyez jusqu'où cela peut aller. On dit qu'il faut « lutter contre ses peurs » mais quoi de mieux que de ne tout simplement pas les créer ? Cependant, il faut rester lucide : surmontez la peur est une étape, car celle-ci n'est pas que mauvaise, elle nous permet de faire de nous des êtres conscients du danger. A vous seulement de choisir de quoi vous avez peur...
1Phobophobie : peur d'avoir peur. »
Peter Howard. H, Étude du comportement humain
La jeune fille regardait par sa fenêtre, rêveuse. Elle est presque éblouie devant ce paysage si simple. Ce n'était qu'une plaine, longée par une forêt dense et verdoyante. Pourtant, la fille ne rêvait que d'une chose : voir ce qu'il y avait là-dedans. Elle imaginait là-bas un monde où règne calme et sérénité. Un monde qui semble utopique pour certains, mais pas pour elle. Pourquoi vouloir tant y aller ? La fille avait tout : une famille, un père, une mère, une maison. Oh elle ne souhaitait rien d'autre, elle ne se plaignait pas de cette vie, mais la fille voulait plus : s'évader, partir.
Elle décolla son visage de la vitre, sortant de son petit monde imaginaire qu'elle affectionnait particulièrement. La porte de sa chambre s'ouvrit, laissant paraître une grande femme, à l'allure fine et délicate, souriante. Sa mère.
« Melissa ne restes pas aussi silencieuse, tu me fais peur ! J'ai l'impression que tu es partie, envolée ! Lâcha la mère en soufflant de soulagement. »
Peur ? Melissa ignorait ce que c'était, en ces moments là. Elle disait que sa mère avait peur de tout, et de rien surtout. Trop protectrice, elle gardait la jeune fille à ses côtés, l'empêchant de sortir de la maison, par « peur » de la voir partir. Mais c'était en la laissant enfermée ainsi que Melissa souhaitait partir. La jeune fille n'avait que les livres pour voyager. Elle voulait plus, plus que de simples mots écrits sur une feuille de papier, des mots qui avaient pourtant le pouvoir de vous faire voyager d’un monde à l’autre, avec une facilité déconcertante.
La mère repartit à son occupation, laissant la fille de nouveau seule dans sa chambre. Elle avait peur du silence de la fille, mais le seul silence qui régnait dans la maison était celui de l'absence du père. Il n'était pas souvent présent, il travaillait ailleurs. Lui voyageait. Melissa ne souhaitait qu'une chose : se faire prendre de nouveau dans ses bras. Elle détourna de nouveau son regard vers la fenêtre, en soupirant. Cependant elle risqua quelque chose. Elle ouvrit la fenêtre, passant son fin et petit corps par l'ouverture, atterrissant à l'extérieur. Elle bougea ses orteils dans l'herbe verte avec joie, appréciant ce petit bonheur de la vie dont personne ne prêtait attention. Elle sentit le vent sur sa peau et ferma ses yeux. Que c'est plaisant. Pourquoi sa mère avait-elle peur de quelque chose d'aussi magique ? La jeune fille n'avait lu que ces sensations, maintenant elle les vivait. Elle rouvrit les yeux, regardant la forêt. Une petite escapade là-bas, pas très longtemps, ne serait sans doute pas très dangereux. Sa mère ne s'en rendrait pas compte, la fille reviendrait avant, comme si de rien n'était.
Elle se mit à courir, même si ses pieds eurent du mal au début à s'adapter au terrain. En sortant de l'ombre de sa maison, elle sentit la chaleur du soleil, meilleure que celle de la cheminée. Elle courut jusque dans la forêt, chaleureuse et lumineuse. Elle touchait chaque écorce, chaque arbre, heureuse. C'était la sensation qu'elle avait toujours souhaitée : se sentir libre. Elle se coucha sur le sol frais, légèrement épuisée d'avoir autant couru. Elle huma l'air. L'odeur de la terre, de l'eau, des fleurs. Elle se sentait bien ici, mais elle devrait rentrer, un jour ou l'autre. Elle ferma les yeux, s'endormant assez vite, inconsciemment. Elle songea à sa maison, à sa mère, à son père, durant quelques secondes.
Un bruissement venant de sa droite la réveilla, en la faisant frissonner. Elle n'ouvra pas les yeux tout de suite, mais elle était réveillée, et bien consciente. Elle entendit bientôt le son d'une respiration calme. Celle d'un animal. Elle entendit marcher à pas légers jusqu'à elle. Sursautant, elle ouvrit les yeux, le cœur battant à toute allure. Elle rampa en vitesse jusqu'au tronc d'un arbre, bloquée, en fixant avec peur la bête en face d'elle. L'animal avait le pelage blanc, brillant et le regard jaune comme une lune pleine en été. Il était grand, beaucoup plus qu'elle. Son museau noir se rapprocha de la fille apeurée, reniflant. C'était un loup.
Elle ferma les yeux, respirant de manière saccadée et rapide. Son cœur battait la chamade. Alors c'est ça, la peur. Elle s'attendait à se faire croquer, sentir les crocs sur sa peau fine puis saigner. Mais elle n'eut rien. Elle ne sentait que le souffle du loup sur son visage. Un souffle calme et rassurant. Elle ouvrit les yeux, voyant l'énorme visage du loup en face d'elle, fixant de ses yeux luisants.
Au début, elle fuit surprise, et encore apeurée, mais elle se calma très vite. Le regard du loup était bienveillant. Il semblait légèrement vieux, et une légère cicatrice longeait le haut de sa tête et son museau. La jeune fille le regarda longuement puis tendit sa main, fermant de nouveau les yeux.
Elle sentit la douceur du pelage de l'animal se poser sur sa main. Elle rouvrit les yeux, étonnée. Il recula, allant vers un endroit écarté. Le regard du loup semblait parler : Suis-moi.
Confiante, c'était ce qu'elle fit. Elle suivit le loup, admirant le paysage qui l'entourait.
« Où m'emmènes-tu ? Demanda t-elle d'une voix douce. »
Il tourna légèrement la tête, puis lui fit signe de continuer. Il comprend ce que je dis. Bientôt, elle se rendit compte qu'ils étaient sortis de la forêt. Elle regarda au loin les panaches de fumée s'élever dans le ciel clair. Le loup se retourna, regardant la fille avec peine et inquiétude. Elle était tétanisée. Ses yeux regardaient le village brûler, son cœur s'était comme arrêté et sa tête se forçait à lui dire que ce n'était qu'un cauchemar. Elle avait envie de s'effondrer, mais elle ne bougea pas. Jusqu'au moment où elle se lança, et courut jusqu'à sa maison.
Dans les flammes, elle aperçut plusieurs grandes silhouettes capuchonnées. De leur main, elles créaient ces flammes, brûlant tout. Tout, sans exception. Melissa pénétra dans la maison en flammes, par une légère ouverture. Elle cherchait des yeux, angoissée, sa mère. Elle sentit alors qu'on lui mordillait la main. Elle se retourna, et vit le loup qui tentait de l'entraîner vers l'extérieur. Mais elle ne voulut pas. Pas tant qu'elle ne savait pas où était sa mère. Le loup inquiet resta à ses côtés, semblant la protéger. Cependant il avait les oreilles rabattus en arrière, à l’affût de tout bruit, de tout mouvement. La maison s'écroulait autour d'eux, les flammes grandissaient. La jeune fille hurlait le nom de sa mère, mais en vain. Sa voix se perdait dans les cris effroyables des victimes. Une poutre au dessus de sa tête s'effondra sur elle. Elle ferma les yeux, respirant profondément.
La jeune fille fut projetée un peu plus loin, et la poutre se brisa contre le plancher en feu. Elle sentit une présence sur elle, qui s'était effondrée elle aussi. Elle releva la tête, et vit l'un des hommes capuchonnées. Il l'avait plaqué au sol, et sauvé. Il se redressa, regardant la fille angoissée à sa vue. Elle était prête à hurler, quand il posa son doigt sur ses lèvres, pour lui demander d'être silencieuse. Le loup derrière l'homme grognait. Il montrait ses dents, se rapprochant à pas menaçants.
L'homme n'y prêtait pas attention, il balança sa capuche en arrière, dévoilant son visage à la jeune fille. Elle pâlit à la vue de la personne qu'elle avait en face d'elle. Il avait le visage trempé de larmes, semblant culpabiliser. C'était son père.
« Va t'en, pendant qu'il en est encore temps. »